La journaliste Julie Joly, 38 ans, est la nouvelle directrice du Centre de formation des journalistes (CFJ). Après avoir été correspondante en Allemagne pour La Tribune, cette diplômée d’HEC a travaillé durant treize ans au sein de l’hebdomadaire L’Express, où elle a occupé le poste de rédactrice en chef adjointe au service société de 2009 à 2012. Elle fait part de son regard sur La Chance aux concours et la diversité dans les médias, ainsi que de sa vision pour le CFJ et l’avenir du journalisme.
Vous avez succédé à Christophe Deloire à la direction du Centre de formation des journalistes. Quel est votre projet pour l’école ?
Je connaissais le CFJ à travers mes confrères journalistes de L’Express issus de cette école, comme Delphine Saubaber, Estelle Saget et Marc Epstein. Ce sont de grands modèles pour moi. Ces personnes incarnent une forme d’exigence qui doit absolument rester au CFJ. De l’éthique, de la déontologie, de l’enquête, du reportage, du terrain, ces mots doivent rester la marque de fabrique du CFJ. Le journalisme connait aujourd’hui de grandes transformations. Je fais le tour de toutes les rédactions pour comprendre ce qui se passe et voir quels profils manquent. Mon ambition est de permettre à l’école de s’adapter à ce changement. Pour cela, je souhaite faire intervenir des journalistes ouvert à ces changements, renforcer les partenariats existants avec l’ESCP, l’ENS et l’université Paris 1 et doter l’école d’un équipement matériel à de premier ordre.
Huit étudiants de la nouvelle promotion du CFJ sont issus de La Chance aux concours. Qu’en pensez-vous ?
Je suis extrêmement fière. Je ne suis pas fière du CFJ mais des étudiants. Je félicite La Chance aux concours d’avoir cherché des talents qui n’auraient pas imaginé réussir le concours du CFJ alors que visiblement ils en avaient absolument le niveau. C’est très bien d’avoir créé cette passerelle. Ce sont des profils qui nous auraient manqué.
Vous dites « des profils qui nous auraient manqué », qu’entendez-vous par là ?
Si ces candidats n’avaient pas pu passer les concours parce qu’ils n’avaient pas les moyens financiers, n’avaient pas la connaissance de l’existence de l’école ou n’avaient pas la bonne préparation, ce seraient des gens de très bon niveau qui ne seraient pas entrés au CFJ. C’est cela qui me parait fou. En l’occurrence tout le monde a passé le même concours. Ce sont donc les meilleurs qui sont là. C’est quand même dingue, on aurait raté de très bon éléments s’il n’y avait pas eu cette passerelle-là. C’est comme si pour constituer une équipe de foot, on ratait des cadors parce qu’ils n’auraient pas été entrainés dans les bonnes équipes. C’est quand même dommage parce que c’est eux qui marquent des buts après et c’est cela ce qui m’intéresse. L’existence de la Chance aux concours est une grande chance pour nous.
L’objectif de La Chance aux concours est « d’œuvrer à la diversité sociale dans les médias ». Êtes-vous sensible à ce discours ?
Tout à fait. Imaginer que l’on puisse créer des médias endogames, avec des candidats qui ont le même profil que les journalistes en place, cela n’a pas de sens. On voit bien aujourd’hui que les médias en payent le prix. Leur crise structurelle vient aussi du fait qu’ils ont du mal à se regarder de l’extérieur. Ils reproduisent un système qui est difficile à changer. Je constate que des entreprises plus ouvertes, avec des profils différents, résistent plus généralement à ces crises-là.
Les écoles de journalisme doivent-elles s’ouvrir davantage dans ce cas ?
Les écoles ont besoin de ces profils parce que les médias en ont besoin. C’est la survie des métiers du journalisme qui est en jeu. De même que La Chance aux concours a été la passerelle pour mener les étudiants jusqu’à nous, le CFJ est la seule passerelle possible pour amener ces étudiants jusqu’aux médias. Si une ouverture n’existe pas, on prive les médias d’une richesse qui leur coûtera très cher. Ils n’auront pas les meilleurs éléments, le regard extérieur et les ressorts pour se renouveler.
Quel sens a pour vous le mot « diversité » ?
Pour moi « diversité », ce n’est pas une question de couleur, de diplôme, de lieux d’origine. Diversité, c’est le contraire de la fermeture. Cela veut dire ouvrir le métier de journaliste à tous les profils. Cela a commencé par l’ouvrir aux femmes, maintenant aux boursiers et aux profils en tout genre. Être bon journaliste, c’est le fait de se poser les bonnes questions. Cela n’a rien avoir avec le fait d’être né à Paris ou d’être blanc ou quoi que ce soit d’autre. La diversité c’est juste, on ouvre les vannes et on prend les meilleurs. Cela reste encore très élitiste. On pourrait dire qu’il faut abaisser le niveau du concours pour faciliter l’entrée. Non je ne crois pas. Je veux prendre les meilleurs. La question c’est comment rendre meilleurs les étudiants qui ont un grand potentiel, un regard journalistique plus développé que vous et moi, mais qui décrochent à l’école pour des raisons personnelles, etc. Il faut travailler plus en amont.
Quel est le soutien que compte apporter le CFJ à La Chance aux concours dans les années à venir ?
L’école soutient La Chance aux concours depuis un moment car ce sont des anciens du CFJ qui l’ont créée. Je trouve très intéressant que cela soit des étudiants du CFJ qui se soient posé eux-mêmes la question de la diversité. Ma manière d’aider ce programme est de continuer à ouvrir la porte de l’école à la CAC. Ils sont ici chez eux. On fait tout ce qu’on peut pour diffuser le message. S’ils ont besoin d’autre chose, on le fera. Ce qui est sûr, c’est que la question de la diversité va au-delà de l’intérêt du CFJ : c’est l’intérêt du métier tout entier.
Propos recueillis par Yassine Khiri