Des REP aux grandes écoles, le succès des prépas « égalité des chances »
Ces classes gratuites, réservées aux étudiants défavorisés, tentent de combattre les inégalités dans l’accès à l’enseignement supérieur.
Par Louis Chahuneau
Quand il a appris son admission à Science Po Paris, il n’y a d’abord pas cru. « Je commence tout juste à réaliser », souffle le jeune homme de 17 ans au téléphone. Lui ? Fayssal, fils d’un ouvrier à la retraite et d’une mère au foyer ? Lui, étudiant au lycée Galilée de Gennevilliers (92) classé en REP (Réseau d’éducation prioritaire), qui savait à peine ce qu’il voulait faire ? C’est pourtant bien lui qui a foulé le sol de la prestigieuse école de la rue Saint-Guillaume (7e arrondissement) lors de la rentrée inaugurale lundi dernier.
Comme Fayssal, des dizaines d’autres lycéens de REP et REP+ (Réseau éducation prioritaire) bénéficient chaque année de la convention éducation prioritaire (CEP), un partenariat mis en place en 2001 par Science Po pour augmenter la diversité sociale chez les étudiants de l’IEP. Les élèves passent un concours spécial en trois temps : un dossier de presse rédigé, un oral dans leur lycée, et un autre à Science Po. Mais impossible de réussir le concours sans une préparation à toute épreuve, car la sélection à l’entrée est drastique. En 2017, le taux d’admission à Science Po Paris en CEP était de 15,8 % (158 admis), presque aussi sélectif que le concours normal (14,7 % d’admis soit 806 étudiants), selon l’Étudiant .
C’est grâce à des associations comme Ambition Campus, créée en 2007 par des étudiants de Science Po, que beaucoup réussissent l’exploit. La prépa accompagne chaque année une centaine de lycéens de REP et REP+, dans 23 lycées de banlieue bénéficiant de la CEP. Cette année, 92 ont été admissibles à Science Po et 25 vont y étudier à la rentrée. D’autres ont été admis en prépa ou dans de grandes universités parisiennes comme Paris-Dauphine.
Casser l’auto-censure
Malheureusement, ces lycéens restent des exceptions en 2018. « J’ai conscience qu’on est un peu privilégiés », admet Chloé, ex-étudiante au lycée de Sainte-Geneviève-des-Bois (91) classé REP, et nouvelle admise à Science Po. « La France a un vrai problème avec l’égalité des chances, surtout au moment de l’accès à l’enseignement supérieur », explique Nassim Larfa, président d’Ambition Campus et tout juste diplômé d’un master 2 d’affaires publiques à Science Po.
Le jeune homme de 22 ans sait de quoi il parle, il a lui-même bénéficié d’Ambition Campus lorsqu’il habitait à Chelles (78). Il cite les études qui pointent le retard de la France en la matière : « Selon les enquêtes Pisa, la France est le pays dans lequel l’origine sociale a le plus de poids sur les performances des élèves. Seulement un étudiant sur dix est un enfant d’ouvrier, alors que ces derniers représentent 30 % des 18-23 ans dans la population. » David Allais, directeur général de l’association La Chance aux concours, qui s’adresse aux jeunes boursiers et affiche 55 % d’admis dans les écoles de journalisme reconnues, résume la situation : « On est là parce qu’il n’y a rien à côté. Si un jour les jeunes n’ont plus besoin de notre association, on sera ravis d’arrêter. » Il y a bien des classes préparatoires privées comme Ipesup (78 % d’admis en 2012) et l’ISTH (75 %), mais celles-ci coûtent plusieurs milliers d’euros par an et sont inaccessibles pour les enfants des classes populaires.
Le premier obstacle reste l’autocensure qui bride l’ambition des jeunes défavorisés. À chaque rentrée dans les locaux d’Ambition Campus à Nation, Nassim Larfa entend le même refrain : « Science Po, c’est pas fait pour moi. » Des propos qu’il tenait lui-même autrefois. Les associations pour l’égalité des chances sont d’abord là pour combattre le cliché d’une élite inaccessible. Et ça marche : « À la fin de l’année, nos étudiants veulent tous faire des trucs de dingue, ils ont une ambition débordante », se félicite Nassim Larfa.
La barrière psychologique dissipée, il faut développer la culture générale des étudiants, un élément déterminant pour réussir les concours des grandes écoles. Fayssal le rappelle lui-même : « Le capital culturel est encore beaucoup trop inégalitaire. » En plus des oraux blancs, des cours de culture générale, de français ou d’anglais, dispensés tous les samedis, les professeurs bénévoles organisent des visites au ministère des Affaires étrangères, au Sénat, ou dans les grandes rédactions parisiennes.
À Ambition Campus, pour contre-balancer la gratuité des cours, les étudiants sont encouragés à partager un savoir-faire avec leur parrain : « Ça peut être un cours d’arabe, ou une séance de sport », résume Nassim Larfa. Une manière de tisser un lien fort entre les lycéens et leurs professeurs bénévoles. Et la technique porte ses fruits, beaucoup d’anciens d’Ambition Campus comme Nassim Larfa veulent s’investir dans l’association pour aider les prochaines générations. Fayssal, lui, a déjà prévu d’accorder du temps pour les nouveaux et espère travailler dans une compagnie aérienne après Science Po. Quant à Nassim Larfa, il va quitter sa fonction de président pour laisser sa place à d’autres, mais continuera de garder un œil sur l’association. Selon lui, l’objectif serait d’ouvrir de nouvelles antennes en France, de préparer d’autres concours que les IEP et de former les lycéens dès la première.
Malgré le succès d’Ambition Campus, de La Chance aux concours et d’autres associations, préparant à l’École nationale de la magistrature (l’ENM) ou l’École nationale de l’administration (ENA), « les prépas dans notre genre restent marginales et mal connues », estime Nassim Larfa. David Allais a conscience de suppléer à un défaut de l’État : « Tant que l’inégalité dans l’éducation ne sera pas prise en charge dès la maternelle, et par l’Éducation nationale, le problème ne sera pas résolu. » En attendant une réponse institutionnelle, ces classes préparatoires demeurent précieuses dans la course à l’égalité des chances.