Lauréates de la bourse Paris Jeunes Aventures, Anne-Fleur Delaistre et Camille Lafrance ont eu l’opportunité de réaliser un reportage à la frontière turco-syrienne en 2009. Ces deux anciennes étudiantes de la Chance aux concours, diplômées respectivement de l’Institut Français de Presse et de l’Institut Pratique de Journalisme, ont choisi l’étranger pour exercer leur métier. Interview croisée.
Pourquoi avoir choisi de partir à l’étranger pour faire du journalisme ?
Camille : J’avais déjà visité le Maroc et j’étais attirée par le monde arabe. Sans pouvoir l’expliquer, ça faisait longtemps que j’avais envie d’apprendre l’arabe mais que je n’arrivais pas à me motiver en France. Le Maroc m’intéresse en particulier car c’est un pays auquel la France a été très liée. Une histoire commune qu’il me semble important d’essayer de comprendre. Je voulais voir ce qu’il en est aujourd’hui de ces relations, dans une rédaction franco-marocaine. Les questions de religion m’intriguent également et j’avais envie de vivre dans un pays musulman, d’observer le poids de la religion dans la vie quotidienne pour pouvoir en parler avec plus de connaissance, de recul dans mon travail… Autrement dit pour essayer d’éviter la caricature médiatique.
J’ai entendu parler par hasard de Medi 1, une radio franco-marocaine dans laquelle j’ai obtenu un CDD d’un an. Je savais qu’on y faisait principalement de la présentation et je ressentais le besoin de « bouffer du micro », d’acquérir de l’expérience à l’antenne.
Anne-Fleur : Mon diplôme d’école de journalisme à l’Institut Francais de Presse m’a permis d’obtenir dès la sortie de l’école un CDD à France 2. J’ai passé huit mois à travailler pour France Télévisions. Mais mes jambes fourmillaient. Je voulais partir, être sur le terrain. Lors d’un stage réalisé un an auparavant au service international de La Croix, la rédaction m’avait parlé d’un pays où elle n’avait pas de correspondant et dont on entend peu parler : l’Indonésie. Alors j’ai relevé le défi. Après plusieurs mois de réflexion et de préparation, j’ai quitté France 2, et je suis partie comme freelance à Djakarta. J’y suis depuis sept mois. Outre La Croix, je collabore pour Le Soir en Belgique et Le Temps en Suisse. Et j’espère convaincre d’autres journaux.
Comment se passe ta vie professionnelle là-bas ?
Anne-Fleur : Je ne connaissais pas du tout l’Indonésie, ni même l’Asie. J’ai suivi une formation à l’INALCO (Institut national des langues et civilisations orientales, ndlr) l’année avant mon départ, en parallèle de mon travail à France 2. J’ai rencontré un maximum de rédactions à Paris et tous les gens autour de moi qui avaient un lien de près ou de loin avec ce pays, et je leur ai demandé leur carnet d’adresses. J’ai lu des articles, des romans, des ouvrages universitaires sur le pays et la région. Maintenant que j’y suis, je propose plutôt des sujets magazines, car il n’y a pas encore eu de « gros coup d’actu » qui excite les rédactions. Ça me laisse le temps de penser des sujets, de faire de vraies recherches, de travailler l’écriture. Et de voyager. Un de mes premiers sujets m’a emmenée à l’autre bout de Java.
Camille : Je travaille à plein temps pour Medi 1, en tant que présentatrice. Je présente des flashs ou les journaux de 22h00 ; je fais aussi des papiers à l’antenne. Je change souvent de poste. En fait, nous traitons principalement de l’actu internationale, très peu du Maroc.
Te sens-tu dépaysée ? Quels liens gardes-tu avec la France ? Envisages-tu de revenir ici pour travailler ?
Anne-Fleur : Dépaysée, oui bien sûr. Le travail de journaliste freelance est très différent de celui d’une rédaction parisienne. Pas de salle de rédaction, pas de chef de service à nos cotés. Il faut tous les jours réussir à convaincre les journaux « d’acheter le papier », il faut montrer l’intérêt du sujet dans chaque proposition, savoir travailler avec des horaires décalés (du fait du décalage horaire, les journées peuvent parfois être très longues). Je maintiens des liens avec la France en proposant mes sujets à des rédactions parisiennes.
Camille : Je ne me sens pas dépaysée, la France ne me manque pas du tout. J’aime me confronter à la nouveauté. Quand certaines différences culturelles m’agacent, j’essaie aussi de constater les extrêmes et excès de ma culture, de mes habitudes… Je n’y parviens pas toujours mais c’est une bonne manière de relativiser. En tant que fille, j’ai été irritée au début par des petits harcèlements au quotidien, les « pssst » aux coins de rue et les remarques sexistes, mais maintenant je m’en moque et j’ai appris à les éviter.
Quelles sont tes ambitions professionnelles à court et à long terme ?
Camille : J’aimerais rester dans ce pays quelques années, pourquoi pas piger et faire du reportage pour des médias francophones après mon expérience à la radio.
À plus long terme, si l’occasion se présente et si j’en ai encore envie, je pourrais m’installer dans un autre pays mais plus longtemps : rester seulement un an est frustrant, car on part au moment où on commence à comprendre un pays, à avoir ses repères.
Anne-Fleur : J’espère pouvoir travailler ici encore quelques années, développer mes collaborations, notamment en télévision. Ensuite, un autre pays peut-être.
Quels conseils donnerais-tu à d’autres qui voudraient tenter l’aventure à l’étranger ?
Anne-Fleur : Il faut vraiment préparer son départ, bien cibler le pays (certains sont remplis de journalistes, il doit y être plus difficile de travailler), démarcher les rédactions à Paris avant de partir, rencontrer les rédacteurs en chef. Et partir avec un petit pécule, le temps que les premières piges soient payées.
Camille : Avoir une bonne capacité d’adaptation, essayer de faire des efforts pour s’intégrer dans une nouvelle culture. Apprendre la langue par exemple. Je me suis mise personnellement aux cours de darija, le dialecte local et je commence les cours d’arabe classique. Je teste le peu de vocabulaire que je connais sur les commerçants de mon quartier…